À quoi ça sert Facebook ? Je crois que sur Internet, tout le monde s'est posé cette question à un moment ou à un autre. Moi-même, en 2007, j'ai écrit l'un de mes premiers billets sur le phénomène Facebook en concluant par ces mots :
je suis présent sur Facebook « juste pour savoir de quoi je cause quand j'en cause, et j'avoue ne pas encore y avoir trouvé "mon" intérêt ».Et puis le mois dernier il s'est passé une chose : une déclaration de Berlusconi, le 13 juin, qui invitait expressément les entrepreneurs italiens à boycotter les journaux qui critiquaient son gouvernement, sa personne, sa politique, et à ne plus y investir en publicité (en sachant que les principaux journaux et médias qui ne le font pas sont les siens...).
Une déclaration qui a fait réagir, entre autres, un consultant en communication de Milan, Geronimo Emili, qui a décidé dans la foulée de lancer un groupe sur Facebook pour proposer aux gens de se cotiser et d'acheter une pleine page de publicité sur Repubblica, journal symbole de la lutte contre Berlusconi et cible directe de ses attaques : « Repubblica a planifié une action subversive contre moi ! »
Donc en trois semaines à peine, la proposition a abouti et aujourd'hui - le jour de l'ouverture du G8 en Italie ! -, le journal "La Reppublica" publie NOTRE ANNONCE !
Comme vous pouvez le voir, ce n'est pas une pleine page (en taille naturelle, légèrement inférieur au format A4), et c'est relégué à la page 37 du journal. Mais c'est tout ce que les fonds recueillis ont permis de nous offrir.
Toute cette histoire m'inspire un certain nombre de réflexions.
1. La puissance du Web et du concept de "réseau social" lorsqu'il est utilisé dans le cadre d'une cause commune.
- Le groupe est né spontanément sur Facebook et 95% des gens qui ont versé leur contribution l'on fait via Paypal.
- Je crois que c'est la première fois au monde que les citoyens lambda s'offrent une telle publicité dans un quotidien à tirage national. Certains ont leur nom parmi les signataires en n'ayant versé qu'un seul euro !
2. Pour porter une idée sur le Web, il faut à l'origine un promoteur de l'idée et un groupe restreint qui prenne en main l'aspect "organisation".
- Dans le cas présent, Geronimo Emili s'est chargé de faire confluer les fonds sur un compte Paypal, de prendre contact avec la régie de Repubblica, de négocier le tarif de la page, de compiler la liste des noms (tout un travail, puisque sur 501 noms publiés, certains ont fait apporter des corrections, d'autres ont demandé leur retrait pour conserver leur anonymat, etc.), de trouver les volontaires pour la rédaction du message, la partie graphique, etc.
- C'est moi qui ai lancé l'idée de traduire la page, au début j'aurais aimé dans le plus grand nombre possible de langues, mais Geronimo (Jérôme en français) a préféré se limiter aux langues des participants au G8. Il s'est occupé de trouver les traducteurs pour l'allemand, le russe et le japonais, tous volontaires.
- J'ai pris en charge le français et l'anglais, et les deux traducteurs professionnels que j'ai contactés pour l'anglais n'ont pas voulu être payés. Qu'ils en soient remercié, leur nom n'apparaît pas sur la liste des contributeurs juste parce que Geronimo n'a pas réussi à tout faire, mais je tiens ici à réparer cet oubli. Ils s'appellent Nicholas Hunt et Gordon Fisher.
3. Entre adhésion idéale et contribution effective, il y a un pas que seuls 20% des gens franchissent !
- Au moment de clôturer les comptes, lundi soir à minuit, (j'arrondis) 500 personnes sur 2500 inscrits avaient versé environ 4500 €. Soit une moyenne de 9 € par personne qui aurait donné plus de 22000 euros collectés si chaque inscrit/e avait été jusqu'au bout de la logique ayant motivé son inscription...
- Cette marche arrière de 4 inscrits sur 5 a fortement diminué l'impact médiatique du message. En outre, si nous avions eu la pleine page, nous aurions pu publier les traductions directement sur le journal, et non en page 37 !, comme le montre le projet graphique original :
Qui a dû être redimensionné à cause du format de l'annonce, et qui est donc le fruit d'un compromis tenant compte de l'espace réduit à disposition.
- Ironie du sort, l'annonce est publiée à côté d'un article censé retracer l'histoire de Facebook...
Conclusion
En termes de communication, je crois que cette initiative est une grande première mondiale et qu'elle ouvre des perspectives...
Par contre, le fait que 4 personnes sur 5 se soient abstenues de contribuer, en contradiction évidente avec les intentions publiquement professées, est un ÉCHEC manifeste, qui donne à réfléchir. J'ai laissé plusieurs message sur le mur de la page, en comparant ce qui s'est passé avec un voyage en train, où pour chaque voyageur qui a pris le train, quatre autres sont restés sur le quai à regarder.
Une passivité de cyberspectateurs sur laquelle il me semble déceler l'héritage d'une culture télévisuelle où la seule interaction possible consiste à zapper en restant le cul sur sa chaise.
Non ! Les réseaux sociaux et le Web ouvrent d'immenses perspectives encore presque totalement inexplorées, et plutôt que de légiférer à droite et à gauche sur des conneries qui sont l'expression de lobbies monopolistes jurassiques, cette initiative est l'exemple frappant des possibilités que le Web ouvre à tout-un-chacun.
Apprenons à nous en servir, et parlons-en autour de nous !
Liens connexes en français (si vous en connaissez d'autres, merci de me le signaler en commentaire) :
- Mobilisation citoyenne pour la liberté de la presse italienne: une page dans La Repubblica
- Berlusconi n'aime pas les journaux qui annoncent des mauvaises nouvelles
- En achetant un espace publicitaire dans La Repubblica...
- Contre Berlusconi, une page publicitaire dans La Repubblica
- Un groupe Facebook publie une lettre ouverte contre Berlusconi
- Berlusconi, prince du G8, attaqué dans la presse
- Marre de Berlusconi ? Des citoyens s'offrent une pleine page dans un journal
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P.S. Cf. l'article de Repubblica, signalé en page d'accueil du journal, qui rend compte de l'initiative :
Actualités, Italie, Silvio Berlusconi, démocratie, information, politique, société, Facebook, Web 2.0, Repubblica, réseaux sociaux, démocratie participative